pme ivoirienne

Interview du Dr. Moussa Elias Farakhan Diomandé dans le magazine Emergence Économique

« Il faut dresser un bilan objectif du plan Phoenix et en tirer les leçons, pour donner des chances de succès au programme PEPITE »

Comment se porte la CPUPME. CI, trois ans après sa création ?

 La CPU-PME.CI anciennement PUPME est un organe fédéral, organisé en filières regroupant plusieurs fédérations, associations et groupements de PME. Notre organisation a d’abord consolidé ses bases et est aujourd’hui en phase d’enracinement. Notre confédération n’était pas la bienvenue au moment de sa création. Nous revenons de loin, notre message reçoit de plus en plus d’échos favorables. En témoignent notre participation aux reformes de la fiscalité et des marchés publics en cours, ou encore notre contribution au dernier séminaire gouvernemental, etc. Nous sommes aujourd’hui la première force Patronale des PME ivoiriennes, grâce au travail acharné de nos membres, que je félicite, à la qualité de nos interventions et à la pertinence de nos avis basés sur une bonne connaissance de l’économie ivoirienne. Nous évoluons avec nos propres ressources, sans appui, contrairement à d’autres organisations présentant des performances en deçà des espérances notamment des plus faibles. Nous remercions le Président de la République pour son soutien, sa confiance et son écoute.

Il est de notoriété publique que les banques sont encore frileuses quant au financement des Pme ? Vous avez réussi, en septembre dernier, le pari de conclure avec la Banque Nationale d’investissement (BNI), une convention de financement des Pme, portant sur un montant de dix milliards de Fcfa. Comment en êtes-vous arrivé à lever cet obstacle ?

Ce partenariat montre bien qu’il y a de l’espoir, et que certaines banques peuvent encore participer au financement des Pme, si nous, faitières, leur soumettons des propositions avec des mécanismes novateurs. C’est l’occasion de remercier tous les acteurs ayant contribué à la mise en place de ce dispositif inédit de financement pour les Pme. Notamment le FSA, la BNI qui l’ont bien compris, et les équipes qui ont travaillé à ce projet. Notre détermination s’est manifestée dans la réalisation de ce projet innovant. L’innovation de ce mécanisme de financement consiste d’une part en une structuration des PME, s’appuyant sur un accord avec les experts comptables, mais également en un accompagnement à l’industrialisation et la commercialisation des produits et services des PME bénéficiaires, par des spécialistes. Un comité de suivi et un comité technique puis un comité de crédit sont déjà mis en place. Pour bénéficier du financement, les PME doivent présenter leur dossier à leur président de filière. Le dossier est ensuite transmis aux experts-comptables qui le structurent et le présentent au comité technique. Nous encourageons tous ceux qui souhaitent le développement des PME à nous accompagner dans la création d’un environnement financier qui crée du sens et de la valeur pour les PME.

 Côte d’Ivoire PME, INIE, Fonds de garantie de financement des PME, fonds de l’innovation, Programme Phoenix…, les institutions et initiatives en faveur des Pme sont nombreuses. Pourtant les Pme ivoiriennes peinent à décoller. Comment l’expliquez-vous ?

 D’un côté l’État fait ce qu’il pense être bon pour les PME. D’un autre côté les PME pensent que cela n’est pas assez et ne crée pas du sens pour elles. C’est le signe d’une certaine incompréhension entre les parties. Cette incompréhension trouve sa source dans le choix des interlocuteurs représentant les PME. La CPU-PME.CI propose de fluidifier la communication entre l’État et les organisations Patronales en appuyant cette communication sur des organisations plus représentatives des PME ivoiriennes. Les insuffisances et échecs successifs de cette pléthore de structures et programmes sont surtout liés à des problèmes de gouvernance, de compétences et parfois de mobilisation des financements. Concernant les structures publiques, Il y a au minimum 7 structures pour aider les PME. Cela signifie 7 Présidents de Conseils d’Administration et autant de Directeurs généraux et de Directeurs Généraux adjoints, 70 membres de Conseils d’Administration. Sans compter les sous-directeurs et autres personnels. Cela fait plus de 200 personnes payées et censées accompagner les PME sans succès. Cette approche est à la fois inefficace, budgétivore et contre-productive.

 

Il faut donc réduire les structures publiques d’accompagnement des PME, pour rationaliser leur gestion et mutualiser leur ressource pour plus d’efficacité et d’efficience. Et pour anticiper par la prospective, orienter, et évaluer les programmes, nous appelons de tous nos vœux à la création d’un observatoire national des Pme.

Le 5 octobre dernier, le premier ministre Patrick Achi, procédait au lancement du Programme Économique pour l’Innovation et la Transformation des Entreprises (PEPITE), qui vise à accompagner 1500 très petites et moyennes entreprises sur 10 ans. Peuton enfin dire que c’est le bout du tunnel pour les PME ivoiriennes ?

Nous nous félicitons de la mise en place du programme PEPITE, et espérons que cette nième initiative soit la bonne pour les Pme. Nous avons tout de même des réserves quand on sait qu’il y a eu de nombreux programmes avant cela. On se souvient qu’en Avril 2016, lors de la CGECI Academy, l’ancien premier ministre Daniel Kablan Duncan avait annoncé en grandes pompes, l’opérationnalisation de la phase d’exécution du plan Phoenix. Un ambitieux plan visant à atteindre selon les prévisions du plan, une masse critique de création ou de retour dans le formel de 50 000 à 60 000 PME compétitives, dynamiques et innovantes, avec à la clé la création d’emplois de 300 000 à 400 000 emplois, un accroissement de 3 000 à 5 000 milliards FCFA du PIB. Les Pme ont fondé beaucoup d’espoir dans le plan Phoenix qui était en lui-même un très bon plan, mais qui a péché dans son opérationnalisation. Il est trop facile à mon sens, de mettre le plan Phoenix en pertes et profits. Qu’est ce qui n’a pas marché pour qu’on passe en six ans de Phoenix à PEPITE ? C’est la question à laquelle il faut répondre.

Alors, que faire pour que le programme PEPITE ne soit pas une initiative de trop, sans réel impact sur les Pme, mais plutôt un vrai catalyseur de l’émergence de champions nationaux ?

PEPITE est peut-être une bonne piste mais ce n’est pas la seule. Il ne faut surtout pas mettre les charrues avant les bœufs, en allant dans la précipitation. Il faut accepter sans fioriture de dresser un bilan sérieux et objectif de toutes les initiatives précédentes en faveur des Pme, et particulièrement du plan Phoenix, et en tirer les leçons, pour donner des chances de succès au programme PEPITE. On ne nous dit pas ce que devient le plan Phoenix, et tous les moyens engagés pour sa mise en œuvre, aucun bilan objectif n’est fait pour cerner les difficultés, situer éventuellement les responsabilités. Où en sommes-nous avec les questions de responsabilités et de redevabilité vis-à-vis des Pme et du contribuable ? Il faut qu’on sorte rapidement de cette tendance à gérer les affaires par effets d’annonce, à lancer les projets sans suivi véritable, et les abandonner pour de nouveaux programmes. Cela est essentiel si l’on veut éviter de gaspiller les ressources publiques et d’effriter la confiance des bailleurs de fonds. C’est pourquoi, après l’euphorie et l’espoir suscités par le lancement de PEPITE, nous nous posons beaucoup de questions sur le budget alloué à ce programme, les critères de sélection, les conditions d’incubation des PME, la nature du financement, la fiscalité, le régime social, l’apport de la CPU-PME.CI dans ce processus, l’objectif final de ce programme dans une économie mondialisée et fortement compétitive. PEPITE devra s’attaquer aux vrais problèmes des Pme, que nous ne cessons d’exposer depuis une dizaine d’année aux décideurs. Les Pme connaissent beaucoup difficultés liées à l’iniquité du dispositif fiscal, l’accès aux marchés, l’accès aux financements, la gouvernance et la structuration, la faiblesse des compétences capital humain, la digitalisation des process, et l’internationalisation.

Que pense la CPU-PME de la création récente du Guichet Unique de Développement des Pme en Côte d’Ivoire ?

C’est vrai que nous n’avons pas été associés à cette initiative, mais nous la soutenons fortement. Pour la CPU-PME.CI, il aurait fallu dissoudre ces mille-feuilles de structures pour créer le GUDE afin de réaliser des économies d’échelle et de ressources. Les missions du GUDE telles que présentées aujourd’hui doivent être revues complètement, en associant pleinement les faitières de Pme, qui sont les premières concernées. Son rôle devrait être d’orienter les PME vers les meilleures opportunités, mais aussi de les assister en termes de financement. Le GUDE devrait également promouvoir les nouveaux produits financiers innovants adaptés aux PME.

Quelles sont les attentes de la CPU-PME sur les nouveaux dispositifs de soutien aux Pme ?

 

 Nous attendons de l’État qu’il accentue son soutien, pour que les PME ivoiriennes puissent contribuer à l’élan de développement et de création d’emplois. Il faut également être équitable dans la répartition des ressources notamment de la TSE, qui est une contribution des grandes entreprises au développement des Pme. Seul un groupuscule en profite, alors que ce fonds aurait pu être utilisé plus intelligemment. Un autre défi est de pouvoir combler rapidement le vide juridique autour de certains mécanismes alternatifs de financement, pour lever les contraintes financières sur les Pme. Les travaux des experts de la CPU-PME, avancent bien dans ce sens, pour faire des propositions concrètes aux décideurs, en vue d’élargir le spectre des outils et mécanismes de financement des Pme ivoiriennes. Enfin, l’État, à travers ces nouveaux dispositifs devrait s’atteler à mettre en place de véritables politiques filières au niveau national, et mettre rapidement sur pied, un observatoire d’anticipation, et de suivi-évaluation des politiques en faveur des PME. La CPU-PME, reste disponible avec ses experts pour accompagner l’État à rendre plus efficace les dispositifs d’accompagnements des PME.

Source: Emergence Économique • Novembre 2022 p39